Expédite Laope-Cerneaux

Auteure

Expédite Laope-Cerneaux est chargée de mission illettrisme. Elle vit et travaille à Saint-Denis de La Réunion. Elle réalise depuis 2002 une chronique littéraire régulière sur les ondes des radios associatives ainsi que des animations autour du livre dans les médiathèques et toute manifestation en rapport avec le livre et la lecture.

En 1999, elle a co-écrit la biographie de son père, chanteur créole célèbre localement : « Maxime Laope, un chanteur populaire », Ed. La barre du Jour. « Clotilde, de la servitude à la liberté », Ed. L’Harmattan en 2014, est son premier roman.

Ces derniers mots agirent comme un signal sur l’auditoire. Papa Sarda, Papa Sarda, vive Papa Sarda ! Riant, criant, sautant, pleurant parfois, les affranchis laissaient éclater leur joie. Certains s’embrassaient, des hommes lançaient en l’air leurs chapeaux. Jamais foule n’avaient connu une telle liesse !

Plusieurs hommes se précipitèrent vers le commissaire de la République, foulant au pied les soldats submergés par le nombre, et trop surpris pour réagir. Ils se saisirent de Sarda- Garriga et le portèrent en triomphe au milieu de la foule qui, avec un bel ensemble, se mit à danser et chanter autour de lui : « Papa Sarda-Garriga l’a donne la liberté », au son des tambours, bobs, triangles, et autres percussions surgis d’on ne sait où. Ceux qui n’avaient pas d’instrument tapaient dans leurs mains, d’autres s’étaient saisis de morceaux de bois trouvés dans l’herbe et les faisaient s’entrechoquer en cadence.

Clotilde et Thalie n’étaient pas les moins excitées, elles sautaient et dansaient autant que les autres, se prenant parfois par la main.

On est libre, Clotilde, criait Thalie à son amie, on est libre ! Vive Papa Sarda !

Clotilde ne voyait plus ni son père, ni sa mère et ne s’en préoccupait guère.

Echevelée, en sueur, le cœur débordant de joie, elle vit à la faveur d’une pause que des petits groupes de Blancs s’étaient rapprochés, et observaient la scène, les dames sous leurs ombrelles arborant une expression à la fois moqueuse et dégoutée. Mais personne ne se souciait d’eux. A la vue d’une vieille négresse qui caracolait, comme en transe, levant sa jupe haut par-dessus la tête, laissant voir ses dessous de grosse toile, ces dames détournèrent leurs regards choqués, en ricanant. Mais qui s’en souciait ? On ne les regardait même pas…

La chaleur du soleil à son zénith, n’incommodait pas les danseurs qui ont continué ainsi jusqu’à fort tard dans l’après- midi.

Longtemps, longtemps après, les cochers commencèrent à battre le rappel des passagères, qui se rapprochèrent peu à peu des véhicules devant les ramener au bercail avant la nuit tombée…

Et tandis que la malle les brinquebalait en direction de Saint- Leu, Clotilde se disait dans les brumes de son rêve, qu’elle venait de vivre le plus beau jour de sa vie.

Clotilde de la servitude à la liberté (Editions L’Harmattan, Collection Lettres de l’Océan Indien

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